En cette fin d’année 2020 nous allons à la rencontre du collectif qui aura permis au réseau des Centrales Villageoises de traverser la France et de s’implanter sur la pointe bretonne. Rendez-vous au Far West avec Jean-Luc Guichaoua, Daniel Fertil et Jean-Paul Drouin des Centrales Villageoises de l’Ouest Cornouaille.
Lennadenn vat deoc'h-holl !
Comment entend-on parler des Centrales Villageoises quand le collectif le plus proche est à plus de 600 km ?
Jean-Luc Guichaoua (JLG) : Cela fait de nombreuses années que je suis membre de négaWatt. Durant l’été 2016, on a commencé à réfléchir à l’organisation d’une réunion négaWatt sur Combrit, qui est le village où j’habite. J’avais la charge d’organiser la documentation de préparation de la réunion, je voulais faire des panneaux avec des informations sur le sujet de la transition énergétique. En farfouillant à droite ou à gauche je suis tombé sur deux articles sur les Centrales Villageoises. Ça m’a intrigué et j’ai continué à fouiller, et le jour de la réunion j’ai affiché un rapport sur les quatre premières Centrales Villageoises à titre d’exemple.
Ici, personne n’avait encore entendu parler des Centrales Villageoises !
Jean-Paul Drouin (JPD) : Je confirme que Jean-Luc se baladait tout le temps avec une photocopie d’un article sur les Centrales Villageoises sous le bras !
JLG : Ensuite ça s’est un peu calmé, on a commencé à créer un collectif sur le secteur en 2017, avec une dizaine de personnes, qu’on a appelé « Ouest Cornouaille : vers un territoire à énergie positive » (Ouest Co TEPOS). Grâce au réseau Taranis* on a pu commencer à se former, et on a consulté de nombreuses initiatives citoyennes dans la Région, comme les Lucioles qui nous ont expliqué leur démarche.
Au printemps 2019 on a sollicité notre adhésion au réseau des Centrales Villageoises, qui a été approuvée durant l’été. C’est ensuite allé très vite, on a déposé les statuts de la société avec nos 10 fondateurs dès le mois d’octobre et la SAS était immatriculée le 4 novembre 2019.
*Taranis est le réseau régional breton de l’énergie citoyenne. Plus d’infos ici
Pourquoi avoir choisi le modèle Centrales Villageoises ?
JPD : Petit à petit, l’idée a fait son chemin. Ce qui nous a plu, c’est que le modèle est robuste et permet de passer au concret rapidement.
Daniel Fertil (DF) : Notre motivation est de pouvoir faire quelque chose de concret pour la transition énergétique sur notre territoire. D’autant plus qu’ici on est assez éloigné de toutes les grosses centrales de production d’électricité : l’acheminement de l’électricité, quelle qu’elle soit, coûte cher…
JLG : Quand on a commencé à réfléchir comment faire, on a vu qu’il y avait différentes initiatives dans la région mais on n’y trouvait pas la démarche de co-construction qu’on jugeait nécessaire pour faire réellement bouger les choses. Il fallait que l’on trouve le moyen de mener des projets avec les collectivités en place. Cette volonté de travailler avec les élus était un peu notre marque de fabrique, ce qui colle bien avec le modèle des Centrales Villageoises.
Un autre point important est le lien à notre territoire, et le choix de notre périmètre d’action. On avait à cœur de travailler sur les 4 ComCom de l’Ouest Cornouaille. Cela regroupe quasiment 100 000 personnes, et les distances sont certes un peu contraignantes, mais il y avait une vraie cohérence : le SCOT est étudié sur ces 4 ComCom, et les fondateurs de la société venaient de ces 4 ComCom. Ça nous a valu quelques alertes de la part du comité d’engagement des Centrales Villageoises mais on a assumé !
Quel a été l’accompagnement de Taranis ?
JLG: On s’est inscrit très vite à Taranis, avant même d’avoir une structure créée puisqu’on pouvait s’inscrire en tant que simple collectif, et ce gratuitement ! Cela nous a permis de bénéficier de formations.
Depuis que l’on est structuré en société nous sommes adhérents à Taranis, et de facto à Energie Partagée. Aujourd’hui la « cohabitation » aux trois réseaux continue et se passe bien. Il est important pour nous d’avoir une accroche régionale, cela nous permet d’avoir des liens privilégiés avec les autres projets voisins, qu’ils soient Centrales Villageoises ou non.
Justement, le modèle Centrales Villageoises que vous avez introduit en Bretagne est en train d’essaimer !
JLG : Effectivement, depuis, les Lucioles se sont rapprochés de l’Association des Centrales Villageoises !
Et nous avons discuté avec un nouveau collectif en formation sur la Côte d’Emeraude qui semble intéressé par le modèle Centrales Villageoises. Ils ont du être rassurés par notre confiance dans le modèle !
Revenons à ce lien avec les collectivités : comment avez-vous travaillé avec elles ?
JLG : Au lancement de la société on a fait le tour des collectivités, on a rencontré les présidents de ComCom, un certain nombre de mairies… On a eu la chance de rencontrer le président de la ComCom du Haut Pays Bigouden, et celui-ci nous a tout de suite ouvert sa porte en nous proposant des réunions et un toit à équiper. Ça a été l’événement qui nous a permis de lancer le projet publiquement.
De manière générale on s’est attaché à se retrouver sur des valeurs qui faisaient consensus : prôner la sobriété énergétique et le développement du solaire photovoltaïque sur toiture. L’idée est de se retrouver sur ces sujets et d’avancer collectivement dessus, en mettant de côté nos différends sur d’autres sujets éventuellement clivants.
JPD : Dans ma vie j’ai passé beaucoup de temps à porter des pancartes devant la Préfecture à Quimper, et à critiquer les élus qui ne faisaient rien. Et puis on s’est aperçu qu’en réalité les élus étaient ouverts et pouvaient nous soutenir pour peu qu’on leur amène des projets crédibles. Ça a été très marquant de voir le vote à l’unanimité de la ComCom du Pays Bigouden Sud pour la mise à disposition de la toiture, alors qu’il y a un panel politique très large. Ce soutien des élus locaux, c’est quelque chose qui nous booste !
Comment avez-vous réussi à continuer à vous faire connaitre localement malgré la crise sanitaire ?
JLG : ça nous a bien compliqué la tâche car on n’a eu le temps de faire que 2 réunions publiques avant le 1er confinement. Depuis on s’est mis à la visio, ce qui a néanmoins l’avantage d’effacer les distances.
Comment s’est passée la phase de capitalisation de la société dans ce contexte ?
JLG : Ca s’est assez bien passé. A posteriori, je dirais que c’était une phase relativement facile : on avait tous un réseau d’amis que l’on a activé, et on a pu s’appuyer sur des réunions publiques au début, puis ensuite sur des visios de présentation du projet.
Quand on a décidé de lancer l’appel à l’épargne, on a fixé un objectif à 50 k€. Les actions ont été vendues à un rythme assez régulier, et quand ça faiblissait un peu on faisait un « coup de buzz » pour relancer la machine.
Aujourd’hui on a atteint 67 300€ de capital, pour un total de 203 actionnaires. Nous sommes plutôt fiers de ce résultat ! Nous n’avons pas cherché à ce que les gens mettent beaucoup d’argent, la priorité était d’impliquer le plus de monde possible.
Notre actionnariat « déborde » un peu du territoire, on a pas mal de gens qui viennent de l’agglomération de Quimper où il n’y a pas de projet de ce type.
Nous venons par ailleurs d’enregistrer l’arrivée dans l’actionnariat, de la Société d’Economie Mixte (SEM) du Syndicat Départemental d'Energie et d'Equipement du Finistère! Cela a été voté à l’unanimité, on en est très heureux.
Nous avons fait hier soir* une visio d’information à l’attention de nos actionnaires où était présent le sénateur du territoire, qui est lui-même actionnaire. C’est une belle marque de reconnaissance.
*Interview réalisée le mardi 8 décembre 2020
Venons-en à votre projet photovoltaïque : où en êtes-vous aujourd’hui ?
JLG : Notre premier projet concerne 3 sites, dont le bâtiment de la communauté de communes à Kerist, Plobannalec dont je parlais précédemment qui accueillera une installation de 100 kWc. C’est cette opportunité qui a véritablement lancé le projet, et le démarrage a été un peu chaud car il a fallu « sauter dans le train » de la construction qui était en cours, et faire en sorte de rester dans le train !
Ce projet a rythmé le début de l’opération car il a vite fallu proposer quelque chose qui tienne la route, en cohérence avec ce qui était prévu. On a réussi à convaincre le directeur des services techniques, ce qui n’était pas gagné car au début il était loin d’être convaincu ! Une fois qu’on a apporté des réponses à ses questions, il a pu faire changer le cahier des charges de la construction in extremis, pour que la toiture plate du bâtiment soit compatible avec une installation photovoltaïque. Il a fallu changer la structure prévue, ce qui était indispensable.
On a ensuite commencé à négocier avec l’architecte, par exemple pour la position des onduleurs. Le projet s’est construit en collaboration avec les autres acteurs impliqués. Ça a été sportif, et ça l’est toujours, mais on s’accroche !
Aujourd’hui le toit est en place, le local onduleur et les fourreaux également. Il ne reste plus qu’à installer les panneaux ! Pour simplifier les choses avec la ComCom, on a convenu qu’on attendrait la réception du chantier du bâtiment pour faire les travaux de la centrale photovoltaïque. On n’a pas encore de planning précis : on n’a pas encore pu faire la demande de raccordement puisque pour cela on a besoin de la déclaration préalable, qu’on a un peu retardée pour s’adapter aux aléas du chantier. Par ailleurs il semblerait qu’ENEDIS a du mal à tenir ses délais dans le secteur, on ne sait donc pas trop à quoi s’attendre...
DF : On va également équiper l’école Jules Ferry à Loctudy. C’est un projet de 100 kWc, qui sont répartis sur 2 toits voisins. On en est au stade de l’étude avec notre AMO. Etant donné que c’est une école on ne pourra faire les travaux que pendant les vacances scolaires, donc probablement à l’été 2021.
JPD : Le 3e site de la « vague » de toits – parce qu’on parle de « vagues » de toits en Bretagne ! – ce sont les ateliers municipaux de la commune de Combrit.
Sur le site on a deux bâtiments, qui accueilleront sans doute une installation de 36 kWc. Ce sera certainement l’installation la plus simple, en fixation sur bac acier. On vient de faire réaliser l’étude de structures.
JLG : Chez nous, la charge de neige n’est pas un problème ! Le problème pour nous c’est le vent : les contraintes structures ne sont pas les mêmes qu’en Rhône-Alpes !
Pour la suite on a une ribambelle de toits, on en a listé presque 200 ! Ils ne sont pas tous bons, mais on en a beaucoup, on n’est donc pas inquiets pour trouver de futurs projets.
Parlons justement de la météo bretonne et des clichés qui l’accompagnent : quelle production prévue ?
JPD : Selon PVGIS*, on est dans la bande d’ensoleillement qui va de la Savoie à la pointe bretonne, avec des valeurs de productibles de l’ordre de 1050 à 1150 kWh/kWc. On a également beaucoup de relevés locaux qui le confirment. Les clichés sont faux, l’ensoleillement sur la pointe littorale est très bon. On est donc tout à fait légitimes à faire du photovoltaïque en Bretagne !
JLG : Ici il y a aussi l’albédo qui joue pas mal car on est près de la mer, la luminosité est importante.
*Outil en ligne d’évaluation du gisement solaire photovoltaïque. Plus d’infos ici
On entend parfois parler de vulnérabilité du réseau électrique breton, en « bout de ligne » : avez-vous rencontré des difficultés sur ce point ?
JLG : J’aurais tendance à dire non. Nos contacts avec ENEDIS ont été fructueux dès le début, grâce à la convention de l’association avec ENEDIS. On a des bons contacts locaux, une bonne écoute. Pour nos projets, ce n’est pas trop un souci.
Par contre de manière générale c’est effectivement un problème, ENEDIS doit en permanence repenser son réseau. Je pense qu’ils voient nos installations de production décentralisée comme une opportunité.
Sur notre territoire deux des quatre ComCom ont moins de 1% d’autonomie électrique. C’est un chiffre très marquant, qui percute. C’est un des éléments qui fait que les élus nous écoutent…
Votre collectif mène-t-il d’autres actions que les projets photovoltaïques sur son territoire ?
JLG : Si on veut faire bouger les choses, nos toits photovoltaïques sont juste des outils ! On espère que ça nous permettra de faire bouger les élus sur d’autres sujets, comme le PCAET.
On a également eu 2 réunions avec la municipalité de Combrit dans l’idée de mettre en place un défi DECLICS* sur la commune. Cela devrait se lancer fin décembre ou début janvier, et sera orchestré par l’animateur de la commune. Ce qui est intéressant à Combrit, c’est que ce sont les élus qui se sont portés volontaires pour être capitaines des équipes lors du défi. Nous serons pour notre part partenaires de l’initiative, en ferons la promotion.
J’ai bon espoir que à l’avenir ce genre d’initiative de promotion de la sobriété énergétique s’étende vers d’autres municipalités puis jusqu’aux ComCom !
*Défis de sobriété énergétique organisés localement (DECLICS : DÉfis Citoyens Locaux d'Implication pour le Climat et la Sobriété). Plus d’infos ici