Voyage au cœur des projets, épisode 2

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Voyage au cœur des projets, épisode 2 : Ener'Guil
Sur le territoire du Parc Naturel Régional du Queyras, la SCIC Ener’Guil fédère 250 sociétaires depuis bientôt 6 ans.
De leurs centrales photovoltaïques les plus hautes de France à leurs mésaventures de limaces grillées, Luc Herry, Philippe Méjean et Danielle Alloin nous racontent l’histoire d’Ener’Guil.

Voilà maintenant six ans qu’Ener’Guil a rejoint le réseau des Centrales Villageoises. Racontez-nous la genèse du projet

Luc Herry : Entre 2013 et 2014, le Parc Naturel Régional (PNR) du Queyras a construit son Plan Climat Energie, qui comportait un volet sur la mise en place d’énergies renouvelables. C’était prévu dans la charte du PNR Queyras, dont j’étais le vice-président à l’époque.
Le chargé de mission « énergie » du parc, Emmanuel Jeanjean, avait travaillé en région Rhône-Alpes et connaissait le modèle des Centrales Villageoises. C’est par cette voie-là que le concept nous est arrivé.
En 2014, des réunions publiques ont été organisées dans les différentes communes du secteur sous l’impulsion du Parc, qui avait sollicité l’aide d’un prestataire externe pour l’animation, Marion Duarte de CIMEO. Cela a permis de constituer des groupes de travail avec les habitants du Queyras : un groupe « terrain » chargé de repérer des toits et un groupe « bureau » chargé de réfléchir au type de structure permettant d’associer citoyens et collectivités sur ce projet. Nous étions une quarantaine de bénévoles.
Cela aboutit en novembre 2014 à la création d’une association de préfiguration de la société coopérative SCIC Ener’Guil. Ce fut un vrai succès puisque très rapidement nous avons eu plus de 100 sociétaires et toutes les communes ont participé, ce qui est logique car la démarche était cohérente avec la charte du Parc !
En 6 mois, on a réussi à lever 49 000 € auprès des citoyens et 32 900€ auprès des communes et du SYME 05. La Région PACA nous a également soutenus en nous donnant 82 000€ de subvention.

 

Pour quelles raisons avez-vous choisi de créer une SCIC (société coopérative d’intérêt collectif) plutôt qu’une SAS comme l’avaient fait les premières Centrales Villageoises ?

LH : C’est un débat qui a eu lieu lors de la création de l’association de préfiguration. Il faut savoir qu’il y a deux SCOP (Société COopérative de Production) historiques dans le Queyras, ce modèle et tout ce qu’il représente fait donc partie de l’identité locale. Les élus à l’initiative du projet étaient sensibilisés à ce concept de société coopérative, à son principe de « une femme ou un homme = une voix » et au fait de s’appuyer davantage sur le mouvement citoyen que sur le rendement de l’action. Le choix s’est donc naturellement porté sur la SCIC. Nous avons été accompagnés par le mouvement SCOP de la région PACA. Aujourd’hui je pense que tout le monde est satisfait d’être en SCIC, pour l’image que cela reflète de notre collectif citoyen.

 

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Votre histoire montre que l’investissement du PNR a été crucial dans l’émergence de votre projet, comme ce fut le cas pour la création des Centrales Villageoises pilotes en Rhône-Alpes. Le PNR garde-t-il aujourd’hui encore une implication forte dans le projet ?

LH : Suite au départ du chargé de mission vers un autre PNR, l’implication du Parc a progressivement diminué puisque son remplaçant avait moins de temps à consacrer à ce sujet. Mais aujourd’hui la société tourne bien, avec une équipe rodée, nous avons donc moins besoin d’une aide spécifique comme cela avait été le cas au début…

Philippe Méjean : De mon côté, ça me manque un peu qu’il n’y ait plus un animateur actif au sein du PNR. Quand je vois ce que font les chargés de mission dans d’autres Parcs, ils font un vrai travail sur l’animation sur la transition énergétique.

Danielle Alloin : Je suis d’accord, il manque une quantité de mouvement pour sensibiliser aux économies d’énergie, et à tous les problèmes liés au changement climatique qui vont nous affecter. Localement, je trouve qu’on parle beaucoup d’enjeux à court-terme mais il manque quelque chose qui nous projette plus loin dans le futur.

 

Revenons sur la chronologie de votre démarche : pouvez-vous nous parler de votre première tranche d’installations photovoltaïques ?

LH : Comme le PNR  Queyras est l'un des plus petits Parc de France avec seulement dix communes et 2500 habitants, nous avions décidé de réaliser une première tranche avec un site par commune, soit dix toitures au total. Toutes les communes n’ont pas suivi le mouvement, mais nous avons finalement pu équiper neuf toits publics et un toit privé, les installations faisant toutes près de 9 kWc (88 kWc au total). En Juillet 2015 les toits ont été choisis et ensuite c’est allé très vite : cinq mois plus tard tous les toits étaient installés, et en janvier 2016 ils étaient tous mis en service. Nous avons été accompagnés par Mathilde Marduel, du bureau d’études Cythelia, et  Jérôme Assensi , l’installateur d'Ares Solar.
Depuis cette époque, la mise en place de la Communauté de communes du Guillestrois-Queyras nous a permis d’augmenter le périmètre de notre action (15 communes et environ 8200 habitants) et nous avons modifié nos Statuts en conséquence.

 

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La situation géographique du territoire, très en altitude, a-t-elle entraîné des problématiques particulières ?

PM : Evidemment, on pense d’abord à la neige. Mais la neige en tant que tel, n’est pas gênante car décharge très vite sur des panneaux photovoltaïques. Mais cela entraîne des effets collatéraux : quand la toiture décharge, il faut voir où ! Si la toiture donne sur une cour d’école ou un trottoir c’est un problème…
En montagne, une contrainte importante à prendre en compte, ce sont les masques générés par le relief. Pour les étudier nous utilisons le logiciel gratuit PVGIS pour les masques lointains et Géoportail qui permet de faire une coupe du terrain à proximité avec un outil spécifique.

LH : En montagne et particulièrement dans le Queyras nous avons des problèmes d’instabilité de réseau. Le site à équiper est souvent en bout de ligne, le réseau est dimensionné pour des petites consommations et ne peut pas supporter des installations de bonne production.

DA : Mais on va y arriver ! On bénéficie de l’aide du SyME05* sur ces questions.

PM : Pour finir sur le sujet des problématiques qu’on a rencontré, il y a une anecdote un peu loufoque : ce sont des limaces qui sont montées dans le coffret ENEDIS et qui ont fait sauter le fusible… Cela a bien étonné le technicien ENEDIS qui a retrouvé une dizaine de limaces grillées…

LH : Oui cela a fait rire tout le monde mais nous avons perdu presque un mois de production avec cette histoire !

*Syndicat Mixte d’Energie des Hautes Alpes

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Vous avez ensuite pu réaliser d’autres tranches de projets : pouvez-vous nous en parler ?

LH : Pour la 2e tranche, nous avons voulu faire des toits plus grands pour s’adapter à l’évolution des tarifs d’achat. Mais des toits de plus de 200m², c’est difficile à trouver sur notre territoire. Nous avons trouvé une habitation collective où nous avons pu installer 18 kWc. Pour les autres installations c’étaient principalement des privés qui étaient sociétaires et qui ont demandé que leurs toits soient équipés de panneaux photovoltaïques. Au final la deuxième tranche comporte cinq toitures, dont une école, soit 54 kWc au total.

PM : Nos deux premières tranches sont toutes en intégration au bâti. On n’a rencontré aucun souci d’étanchéité, ou de problème de structure… Grâce au sérieux de notre installateur, très au fait des conditions de la montagne.

LH : Suite à la 2e tranche, il y a eu une demande des sociétaires de vendre l’électricité à Enercoop. A partir de 2017 nous avons donc commencé à vendre l’électricité produite par l’un des sites, à Enercoop. Nous allons d’ailleurs en basculer un second début 2021. Enercoop ne pouvant se permettre de contractualiser sur plusieurs installations d’un seul coup, on y va petit à petit…

PM : Enfin pour la 3e tranche on a été plus proactifs dans la recherche des toitures, on a fait nous-mêmes du repérage et des propositions aux propriétaires. Une autre commune s’est manifestée, mais n’avait qu’une petite toiture, ce qui posait problème vis-à-vis des nouveaux tarifs. On a collectivement décidé que dans le cas des toitures communales on accepterait d’équiper des toitures même si elles sont petites. On a finalement équipé quatre toitures dont une première de 36 kWc (69 kWc au total), et nous avons deux autres projets en cours.
Avec le recul, on s’aperçoit que c’est souvent plus facile de travailler avec des collectivités. Les entreprises privées nous demandent « combien ça rapporte ? » et on n’a pas grand-chose à leur dire sur ce sujet, car pour eux le loyer parait modique… On va essayer de définir une stratégie pour ne pas partir de tous côtés. A mon avis on devrait se concentrer sur les collectivités, sur les rénovations de toitures et sur les bâtiments neufs.

 

On me glisse dans l’oreillette que vous détenez un record sur deux de vos installations photovoltaïques…

PM : Oui, nos deux installations à Saint-Véran sont les centrales PV raccordées au réseau les plus hautes de France, à environ 2000m d’altitude.
Notre situation géographique nous offre par ailleurs une productivité très intéressante, on monte jusqu’à 1550 kWh/kWc/an. C’est pour cette raison que l’on peut se permettre de continuer à faire quelques installations de 9 kWc !

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Avec 250 sociétaires, Ener’Guil est l’une des Centrales Villageoises qui implique le plus de citoyens. Comment avez-vous fait pour mobiliser ? Quel type de public avez-vous touché ? Sur le territoire du Queyras uniquement ou au-delà ?

DA : Dans les Hautes Alpes, il y a une longue expérience de production locale d’électricité, qui a commencé avec l’utilisation de l’eau dès la fin du XIXe siècle. Donc, dans la tête des hauts alpins, il est quasiment normal de générer une production électrique sur place, ce qui peut expliquer que l’on ait beaucoup de sociétaires.
Un autre facteur qui a pu jouer est que le département des Hautes-Alpes héberge une fraction notable de populations sensibles aux questions environnementales : il y a beaucoup de producteurs bio en agriculture, en élevage… Il y a aussi une certaine fierté à être un peu autonome, à développer son territoire, et je pense que cela nous a aidé à avoir beaucoup de sociétaires.

PM : C’est ce qui fait le charme du Queyras ! Il y a une atmosphère un peu particulière…

DA : C’est un milieu relativement clos, mais en même temps il est visité par de nombreux touristes, amoureux de la montagne : c’est donc un mélange intéressant entre cette population locale et un apport extérieur de qualité qui enrichit le microcosme queyrassin.

LH : Suite aux premières installations, Ener’Guil a continué à être soutenu localement, via des articles de presse dans le journal local Le Dauphiné, et également via d’autres acteurs du territoire comme les gîtes ou les hôtels, ce qui nous a permis de toucher les touristes qui venaient sur le territoire. Certains ont ainsi pris des parts dans la SCIC pour soutenir la démarche, bien qu’ils ne bénéficient pas directement de l’énergie fournie par les panneaux ! Actuellement une soixantaine de sociétaires sont extérieurs au Queyras, ce qui est intéressant.

 

Au-delà de la production d’énergie photovoltaïque, sur quels thèmes agit votre collectif ?

DA : Notre Centrales Villageoises soutient et accompagne l’initiative "Familles à Energies Positives", qui sera organisée sur le territoire par le CPIE*. On va essayer de mobiliser des familles à participer à ce défi "Déclics", dans le Queyras-Guillestrois.
Également, fin 2019 nous avons organisé en lien avec l’Université du Temps Libre du Grand Briançonnais une série de six conférences sur les sources d’énergie sur Terre. Les conférences étaient de bon niveau, on a réuni une trentaine de personnes dont une proportion notable de jeunes.
On participe aussi à diverses manifestations dans le secteur géographique pour sensibiliser aux enjeux énergétiques et faire connaître notre initiative de Centrales Villageoises.

*Centre Permanent d’Initiatives pour l’Environnement, basé à Briançon

 

Et regardez-vous du côté de l’hydroélectricité ?

DA : Pour l’hydraulique, il n’est pas évident de rivaliser avec des acteurs déjà en place et compétents, car c’est un savoir-faire ancré historiquement dans la région... On a pensé à des petites installations sur les eaux usées, où, de plus, l’on aurait moins de soucis juridiques qu’avec l’eau potable… On verra !

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Quelles sont vos projets en cours et réflexions pour la suite ?

DA : Avec la mise en place des nouveaux conseils municipaux, c’est le moment de faire la promotion de notre Centrales Villageoises ! On va préparer un dossier d’informations et l’on souhaite aller présenter Ener’Guil à tous les nouveaux conseils municipaux, dans l’optique de trouver de nouveaux toits publics à équiper. Car les toits publics permettent de mettre en valeur la dimension citoyenne de notre projet.

PM : Comme je le disais plus tôt, on va désormais essayer de profiter des rénovations de toitures et nouveaux équipements pour installer des nouvelles centrales PV, en étant aux côtés des communes le plus en amont possible y compris au niveau de la programmation de l’équipement.

DA : Nous avons des contacts avec des communes pour l’équipement d’ombrières. C’est une nouvelle occasion pour installer du photovoltaïque… On va donc travailler avec les communes sur ce point, et également avec Energies Collectives, qui est un collectif citoyen sur un territoire voisin, qui s’intéresse également à la question.
Enfin, nous organisons chaque année une réunion de prospective, pour réfléchir à nos actions à moyen- terme et long-terme. Il semblerait que la question de l’autoconsommation collective soit en train de monter rapidement… On imagine des utilisations complémentaires de l’électricité produite, pour la mobilité douce : par exemple pour l’alimentation de vélos électriques, voire même dans un futur plus lointain pour générer de l’hydrogène pressurisé comme moyen de stockage de l’électricité. La situation est mouvante et nous suivrons avec attention les voies qui se dégageront au niveau de la région. Pour le moment, nous nous concentrons sur la production la plus large possible d’électricité d’origine solaire.

 

Propos recueillis par Etienne Jouin

Crédits photos : Ener'Guil

 

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Source
Association des Centrales Villageoises