Voyage au cœur des projets, épisode 1

salle des fêtes
Voyage au coeur des projets, épisode 1 : Les Centrales Villageoises des Collines Iséroises
De Roche à Reventin, de Moidieux-Detourbe à Saint-Sorlin, des installations photovoltaïques apparaissent et commencent à produire de l'électricité sur ce territoire du nord de l’Isère…
A l’origine du projet, les Centrales Villageoises des Collines Iséroises. Nous avons voulu en savoir plus sur la genèse de ce collectif, son organisation, ses réalisations et ses ambitions futures. Echanges avec Martine Tardy, présidente de la société à l’initiative du projet, François Devers et Philippe Ramade, tous deux membres du groupe de travail « toitures » au sein du comité de pilotage de la société.

Racontez-nous la création de votre collectif.

Martine Tardy (MT) : Un petit collectif d’une dizaine de personnes a émergé en septembre 2015. Notre première action était l’organisation d’une « causerie » à Villette-de-Vienne en 2016. Le but était de parler des énergies renouvelables, avec des particuliers et une collectivité pouvant témoigner de leurs installations. L’AGEDEN* était présente.
Entre le moment où j’ai commencé à organiser la réunion et le jour J, j’avais appris l’existence des Centrales Villageoises de la Région de Condrieu ! On avait donc également invité son président, Hervé Cuilleron.
L’envie de « mettre du concret » était un vrai souhait du collectif. On s’est donc fortement inspiré de cet exemple…
En novembre 2017 nous avons organisé nos premières réunions publiques qui furent un succès : 120 personnes en deux réunions ! On a trouvé des gens très motivés, au début c’était un peu le flou artistique, mais assez vite et on a pu mettre en place des groupes de travail.

François Devers (FD) : J’ai rejoint le collectif suite à une de ces réunions publiques. Au début on était une cinquantaine, le groupe s’est rapidement restreint à une quinzaine de personnes. Ce qui a joué en notre défaveur, ce sont les baisses des tarifs d’achat des installations de 9 kWc. On a dû se désintéresser des petites toitures et ça en a démotivé certains, qui ne croyaient plus au projet.

*Ageden : association iséroise pour la gestion durable de l’énergie

 

Quel a été votre démarche vis-à-vis des collectivités locales ?

MT : Nous avons rencontré la communauté d’Agglomération de Vienne dès juin 2016 qui nous a aussitôt proposé un soutien par l’AGEDEN. Par contre, une difficulté a surgi fin 2016 : nous nous sommes trouvés « en concurrence » avec un projet de  Vienne Agglo intégrant les citoyens , c'est ainsi que nous avons sollicité des rendez-vous avec les mairies, y compris celles à la périphérie de l'Agglo.

FD : Dans l’ensemble on a eu des relations hétérogènes avec les collectivités. Ca n’a pas toujours été simple avec les mairies, certaines nous ont pris de haut, nous voyant arriver comme des « baba cool »… Elles n’étaient pas très enclines à nous confier des toitures…

MT : Malgré tout nous avons eu un soutien important quant au prêt de salles pour nos réunions et une communication possible au sein des mairies et de  Vienne Agglo. Cette dernière a financé la prestation de l'AGEDEN qui a été capitale pour démarrer. L’Agglo nous demandait de faire nos preuves dans la mobilisation citoyenne. Le jour où la société a été créée, on avait enfin un peu de crédibilité !

Vienne Condrieu Agglo* et Bièvre Isère ont apporté leur soutien pour les premières demandes de subventions à la Région que nous avons obtenues. Un véritable partenariat est engagé  avec Vienne Condrieu : la directrice de l’environnement et le responsable de la transition énergétique ont organisé eux-mêmes l’accueil de notre réunion publique au siège de l’Agglo en avril 2019. Le vice-président était présent et a pesé dans l’attribution d’une subvention.


*Vienne Agglo et la communauté de Communes de la Région de Condrieu ont fusionné en janvier 2018 pour créer Vienne Condrieu Agglo

petit groupe de travail

collectif

C’est donc la création de la société qui a permis de faire la bascule dans votre image vis-à-vis des collectivités ?

FD : Oui, et également lorsque l’on a commencé à étudier les toitures, on s’est fait accompagner par un bureau d’études. Le fait que l’on travaille avec des professionnels a changé le regard.

MT : Mais finalement, certaines communes avaient une vraie vision sur la transition énergétique, et ont été la porte d’entrée pour ce projet. L’appui de ces communes a été déterminant. L’AGEDEN a également joué un rôle capital, en orientant les communes qui souhaitaient installer du photovoltaïque vers les Centrales Villageoises.


Avec le recul, quel conseil donneriez-vous aux collectifs émergents qui font face à un déficit de crédibilité ou de confiance ?

FD : Il faut s’appuyer sur les Centrales Villageoises existantes ! On est nombreux dans le réseau, profitons-en… Au début, avouons-le, on n’y connait pas grand-chose, on n’inspire donc pas forcément confiance. Montrer en exemple un autre collectif qui a réussi, c’est convainquant.

MT : La grande difficulté, c’est de parler de quelque chose qu’on ne connait pas encore. Pour nous, l’intervention de Noémie Poize* au lancement de notre collectif a été primordiale, elle nous a beaucoup aidé.

*Chargée de mission AURA-EE à l’initiative du modèle des Centrales Villageoises


Pourquoi avez-vous choisi le modèle Centrales Villageoises plutôt qu’un autre modèle de projet citoyen ?

MT : (rires) Cela me fait sourire parce que je ne suis pas du tout allée rechercher ce qui se faisait ailleurs… Je me suis dit « j’ai la chance d’avoir un voisin [Hervé Cuilleron, alors président des Centrales Villageoises de la Région de Condrieu] qui est sympathique, qui est dynamique, qui a réussi, donc j’y vais, je suis le mouvement » !

FD : Pour moi, l’important c’était le réseau. Si on était resté tous seuls, je ne suis pas sûr que l’on serait arrivés au bout… Tous les documents mis à disposition par le réseau sont des bons piliers pour nous soutenir sur les parties techniques et administratives… Même je trouve que c’est parfois un peu fastidieux de s’y retrouver !

MT : Oui, si on suit bien tous ces outils à la lettre, on y arrive ! Par contre, cela demande une énergie colossale de tout consulter, de tout comprendre, de tout digérer… C’est donc important de pouvoir avoir quelqu’un au bout du fil qui nous soutient.


Pour faire face à cette charge de travail, comment vous êtes-vous organisés au sein du collectif ?

FD : Au début, il a fallu se chercher dans la façon de fonctionner, mais après on s’est divisés en quatre groupes : financier, administratif, toitures, communication. Ce sont des groupes assez ouverts, avec une ossature de 5-6 personnes. Cette organisation a permis d’avancer plus vite, on pouvait par exemple avancer la recherche des toitures en parallèle de l’étude du business plan et de la recherche de financements…

MT : la difficulté, c’était de faire coïncider les délais les uns avec les autres… par exemple, pour monter les dossiers de subvention il fallait presque que tout soit clôt alors qu’on venait juste de cibler les toitures, de rencontrer les installateurs. C’était assez complexe ! Nous avons appris tout en  faisant. Les outils de l’association ont permis une bonne approche.
Et pour que ça marche, il faut des personnes qui aient des compétences techniques, une petite expérience en finances, en assurances, etc. Nous avons avec nous un conseiller municipal qui a facilité les démarches administratives des mairies. Dans tous les cas, il faut beaucoup de temps, de la volonté et de la détermination.

groupe toiture en prospection

étude potentiel toiture

Si vous deviez retenir la plus grosse difficulté et la plus belle réussite depuis la création de votre collectif, quelles seraient-elles ?

MT : la très grosse difficulté, ça a été le notaire pour nos toitures privées. Ça a été vraiment des moments très difficiles.

FD : En juillet 2019, n’ayant aucune réponse des notaires déjà consultés depuis 4 ou 5 mois, on avait finalement trouvé une notaire sur Vienne qui était partante pour nous accompagner sur les 3 baux. Début octobre, elle nous avait dit que ce serait réglé en 3 semaines.

MT : Mais ensuite, plus aucun moyen de la joindre… Jusqu’au jour où je suis allée sur place, j’ai été très mal reçue et elle m’a rendu mon dossier… On s’est donc retrouvés sans baux alors que les chantiers attendaient !
Ensuite, on a eu la chance que notre expert-comptable nous conseille une personne qui a été vraiment réglo. On a finalement pu signer nos baux début février, mais avec de nouvelles péripéties jusqu’à la dernière minute car la notaire ne connaissait pas le modèle, notre modèle de bail…

FD : Et pour la plus belle réussite, c’est d’arriver ensemble à faire en sorte que les 10 toitures prévues « sortent de terre ». On en a déjà 2 qui tournent, ça concrétise tous les efforts et efface les soucis qu’on a pu avoir.

MT : L’autre grande réussite, c’est la toiture de 100 kWc, avec des propriétaires qui ont tout fait pour que ce soient les Centrales Villageoises qui l’installent. Ce fut une synergie intéressante !


Venons-en : votre première tranche de projets photovoltaïques va prochainement être mise en service. Pouvez-vous nous la présenter ?

FD : On a ciblé dix toitures : deux toitures de 9kWc (chez un particulier et sur un bâtiment communal), sept toitures de 36 kWc (6 toitures de collectivités et une entreprise) et une toiture de 100 kWc (un manège hippique).

A l’heure actuelle*, on a une toiture de 9 kWc et une 36 kWc qui produisent depuis fin février, la deuxième de 9 kWc est en train de se terminer, trois toitures de 36 kWc et l’installation de 100 kWc sont presque terminées, on attend la mise en réseau… quand le confinement sera terminé !

*Interview réalisée le 19 mars 2020

 

Votre installation de 100 kWc est la première du réseau des Centrales Villageoises*. Quelles ont été les spécificités des démarches pour développer un tel projet ? Avez-vous rencontré des difficultés particulières ?

MT : la première difficulté, c’est qu’à cette puissance on commence à faire face à la concurrence des entreprises voire des banques qui proposent des offres plus intéressantes financièrement aux propriétaires des bâtiments, qui sont souvent des hangars agricoles.

FD : D’un point de vue technique le gros enjeu c’est le raccordement au réseau. Généralement, dans le cas des toitures de 36kWc par exemple, les câbles sont adaptés pour gérer cette puissance. Mais quand on passe à 100 kWc, le dimensionnement des câbles n’est généralement pas adapté, ou le transformateur n’a pas assez de puissance admissible disponible… Cela demande donc facilement des travaux, à des coûts qui peuvent être importants. Par exemple, faire une tranchée c’est 100 € du mètre linéaire… Si en plus il faut rajouter un transformateur, ça peut vite être prohibitif. Pour moi, c’est le premier point à vérifier quand on se lance dans un projet de 100 kWc.
Dans notre cas on a été plutôt chanceux : il y a eu quelques travaux mais le budget a été raisonnable : on en a eu pour 8 000 €.

Philippe Ramade (PR) : Il est primordial qu’il y ait un accompagnement des collectifs dans la construction de leur projet, et notamment dans les demandes de raccordement. Je pense par exemple à la puissance de raccordement à demander en fonction de la puissance installée, qui a toute son importance pour éviter de mauvaises surprises dans le devis de raccordement.
Également, il est important de bien voir avec le propriétaire des lieux en amont de la demande de raccordement l’emplacement à définir pour positionner le local onduleur et le matériel à installer par ENEDIS. Cela peut également avoir son importance sur le coût du raccordement : si l’emplacement du point de comptage est éloigné pour des raison esthétiques ou pratiques, on risque d’en subir les conséquences financièrement.
Il faut pouvoir parler de ces deux points avec son bureau d’études ou avec l’association, car ils sont vraiment importants.

FD : Le 2e point à vérifier, c’est la structure. Si la structure n’est pas bonne, ça ne sert à rien d’aller plus loin.

*Jusqu’alors, la toiture la plus puissante du réseau était une 68 kWc mise en service par les Centrales Villageoises du Val d’Eyrieux. C’était la seule installation de plus de 36 kWc du réseau.

manège cheval 100 kWc

ecole st sorlin

Combien d’actionnaires la société compte-elle aujourd’hui ?

MT : 119 actionnaires dont quelques entreprises du territoire. Deux d’entre elles accueillent nos installations photovoltaïques. Les autres actionnaires sont des particuliers.

 

En prenant un peu de recul, avez-vous le sentiment que vos installations contribuent à une prise de conscience de la problématique climatique sur votre territoire ?

MT : Au début, on a réuni les gens convaincus. Après, la grande difficulté est de réunir les gens pas vraiment encore « dedans ». C’est encore compliqué, on a mesuré cela quand on a fait nos réunions publiques, c’est difficile de mobiliser. Actuellement, on essaye d’orienter le débat sur le portefeuille des particuliers : comment faire des économies d’énergie et réduire sa facture ? C’est un moyen d’ouvrir le débat, un premier pas pour leur donner l’envie de se lancer dans des projets plus importants.

Les Centrales Villageoises sont un bon moyen d’agir. On est tous un peu culpabilisés par ce qu’on entend, il y a de quoi baisser les bras… Donc cela fait du bien de montrer qu’il y a des solutions possibles, qui fonctionnent. Quand on voit les résultats des Centrales Villageoises, il y a quand même de quoi y croire !

 

Quels sont vos projets pour la suite, y compris sur d’autres domaines que le photovoltaïque ?

MT : Vu la difficulté d’un premier projet photovoltaïque, ça vaudrait le coup d’enchaîner sur un second, pour profiter du savoir-faire que l’on a acquis. Mais pour qu’il y ait d’autres projets, il est capital qu’il y ait des nouvelles recrues au sein des groupes de travail. Car les gens peuvent se fatiguer, et les nouveaux impulsent, amènent de l’énergie.

Pour les autres projets, j’avais pensé aux ombrières. J’aime bien car c’est très visible, tout le monde les voit et constate que cela fonctionne…

Faire autre chose que du photovoltaïque ? Il me semble important de mailler davantage notre territoire (33 communes, le 1er projet touche 7 communes.) Pourquoi pas d’autres énergies ? ce serait l’idéal pour approcher l’autonomie énergétique des territoires ! Pour ma part j’ai besoin de prendre une grande respiration avant d’aller ailleurs… Mais il suffirait que quelqu’un insuffle une énergie nouvelle pour que le collectif parte sur d’autres projets !

FD : Je suis d’accord qu’il est un peu difficile de s’écarter du photovoltaïque car on a acquis une expertise, et qu’on ne sait pas vraiment proposer autre chose… Mais en même temps le fait d’avoir creusé la question du photovoltaïque permet de mieux appréhender le changement climatique, et nous pousse à plus réfléchir sur la question dans la vie de tous les jours… On pense à nos consommations d’énergie fossile, on remet en cause nos déplacements, l’utilisation de la voiture… Ca nous donne donc envie de nous attaquer à ces thèmes, que ce soit avec les Centrales Villageoises ou avec d’autres groupes. Au-delà de l’énergie, cela concerne les thématiques de l’économie sociale et solidaire.

A court terme, on voudrait vendre notre électricité à Enercoop, pour devenir vraiment fournisseur d’énergie à travers eux. Pour nous c’est une dimension supplémentaire car on est dans une démarche complètement durable.
 

Propos recueillis par Etienne Jouin

Source
Association des Centrales Villageoises