Les Centrales Villageoises du Pays d’Aigues, situées sur le territoire de la Communauté Territoriale du Sud Luberon (COTELUB), ont été créées en mai 2015. Après un premier projet photovoltaïque réussi (11 centrales mises en service entre fin 2016 et début 2018), le collectif se lance dans une autre facette de la transition énergétique : réaliser des économies d’énergie via la sobriété énergétique. Jean-Michel Bostetter et Jean-Michel Servant nous présentent leurs initiatives sur le sujet.
A quand remontent vos 1ères réflexions pour porter des actions pour les économies d’énergie ?
Jean-Michel Bostetter (JMB) : On venait de terminer notre premier projet, et on s’est dit « en 2018 on ne va pas s’endormir sur nos lauriers et on va faire autre chose ». Et quelqu’un dans le collectif a lancé l’idée du défi Familles à Energie Positive.
Le principe du défi est de constituer des groupes de familles dans les villages pour les aider à faire des économies d'énergie et d'eau. La compétition se fait entre les groupes et non entre les familles. Il s'agit d'améliorer la consommation des familles, sans faire d'investissements, simplement en modifiant les gestes et habitudes, et en relevant ses compteurs. Les données sont entrées régulièrement sur un logiciel en ligne et le groupe qui a fait le plus d'économies est déclaré gagnant.
On s’est donc mobilisé pour organiser ce défi durant l’hiver 2018-2019. Cela a permis de conserver la dynamique du collectif.
La première phase a été la rencontre avec les collectivités et les réunions publiques réalisées durant l’année 2018, pour « recruter » des participants pour le défi. 45 familles se sont inscrites et 37 familles réparties en 6 équipes sont allées jusqu’au bout du défi, qui s’est tenu entre le 1er décembre 2018 et le 30 avril 2019.
Les résultats ont dépassé nos espérances : les économies d'énergie ont été en moyenne de 18 % avec des records à 38% d'économie pour certaines familles. Ainsi 132 000 kWh ramenés à l'année ont été économisés, et l'économie d'eau a été de 700 m3. C'est environ 350 € d'économisés en moyenne par famille sur l'année.
Ce genre de défi est-il efficace à long terme ? Comment s’assurer que les habitudes d’éco-gestes ne s’évaporent pas à l’issue du défi ?
Jean-Michel Servant (JMS) : Au début du défi, les familles participantes étaient motivées pour faire des économies d’énergie mais ne savaient pas trop comment s’y prendre. Le défi leur a permis d’être guidé dans la mise en place d’écogestes, mais surtout à prendre le « réflexe économie d’énergie ». Finalement, je crois que le plus intéressant dans ce défi n’est pas la mesure des économies en soit, même si elle n’est pas négligeable, mais plutôt cette acquisition du « réflexe économie d’énergie ».
JMB : C’est vrai que nous n’avons pas de retour sur la pérennité des gestes que les participants ont appris. Mais je pense que les économies qu’ils ont réalisées les auront motivés pour continuer et s’améliorer car la sobriété devient un jeu !
Par ailleurs on sait qu’au niveau mondial, il faut qu’on parvienne à diviser nos émissions de gaz à effet de serre par 5. Il y a énormément à faire, et toutes les réglementations vont pousser aux économies d’énergie à l’avenir. Une enquête parue le 15 septembre dernier révèle que 70% des français sont inquiets de l’évolution du Climat, et se disent « prêt à agir ». Et ça, je dois dire que c’est un encouragement très fort pour continuer à mobiliser les habitants autour de chez nous pour qu’ils rentrent dans les actions concrètes.
Comment comptez-vous mettre en place cette mobilisation locale pour la sobriété énergétique ?
JMB : Nous avons un peu revu notre approche, car nous nous sommes aperçus que pour un certain nombre de personnes c’est un vrai frein de devoir faire des relevés de consommation, or cette action est à la base des défis DECLICS*. Mais les défis DECLICS ne sont pas le seul moyen de sensibiliser à la sobriété énergétique, on a donc opté pour une approche plus progressive, en prévoyant un plan d’action en cinq étapes que l’on va tâcher de mettre en place cette année.
La 1ère étape pour mobiliser le plus de citoyens possibles est de commencer par des conférences sur le Climat. Je trouve que la conférence proposée par le Shift Project « Le Climat, et moi, et moi, et moi… » est très bien faite. Je suis en train de fixer des dates pour la proposer aux citoyens de notre territoire. De plus nous avons un conférencier du Shift Project qui habite à côté de chez nous, et je vais me former pour l’accompagner lors des futures conférences locales en présentiel.
La 2e étape est d’organiser des ateliers La Fresque du Climat. Après la conférence sur le climat qui permet de comprendre l’origine de la crise climatique actuelle, cet atelier permet d’appréhender l’enchaînement des mécanismes physiques du changement climatique et ses conséquences pour l’Homme et l’environnement.
Ensuite, on envisage de proposer des réunions Tupperwatt, c’est-à-dire chez l’habitant en petit comité pour discuter de ce que chacun peut faire concrètement pour le climat.
Eventuellement, on peut enchaîner avec des réunions de travail type Conversation Carbone, autour du guide des 100 écogestes du CLER et de celui sur l’écomobilité de l’ADEME, pour identifier des actions concrètes que chacun peut faire à son échelle.
Et enfin le dernier levier est l’organisation d’un défi DECLICS qui permet à chacun de suivre ses progrès !
Contrairement à 2018 où on avait directement proposé l’organisation d’un défi, cette fois-ci nous y allons plus progressivement, de façon à toucher un plus large public et aboutir à une meilleure implication des participants.
* Les défis DECLICS (DÉfis Citoyens Locaux d'Implication pour le Climat et la Sobriété) ont remplacé les défis Familles à Energie Positive depuis 2019. Plus d'informations ici.
Nous parlons ici d’actions individuelles, qui ne seront pas suffisantes pour contrer le problème climatique. Comment peut-on passer de ces actions individuelles à des actions collectives à plus fort impact ?
JMB : Tout le but de notre approche est de faire passer le message que le but primordial c’est de diviser d’au moins par 5 nos émissions individuelles directes et indirectes.
Agir soi-même, à son niveau, aboutit tout de même à des résultats qui ne sont pas négligeables. La sobriété est pour moi la première étape car elle est facile à mettre en place, elle n’implique que des changements de comportement : elle ne coûte rien et rapporte même plusieurs centaines d’euros par an ! C’est un premier pas, et il faut donner envie à nos concitoyens de le faire.
JMS : Je ne suis pas sûr que l’idée du facteur 5 d’ici 2050 soit très mobilisatrice, ça ne parle pas aux gens. Ce qui est le plus important et le plus mobilisateur dans la démarche DECLICS et autres, c’est l’idée de dire « chacun peut faire quelque chose », apporter sa goutte d’eau à l’incendie. Et en mettant un peu d’intelligence dans ce qu’on fait, dans nos comportements, on peut arriver à réduire et à s’inscrire dans cette démarche de transition énergétique et à améliorer le système. Ça amène beaucoup de réflexions car derrière il y a les transports, les déchets, le gaspillage alimentaire, etc.
JMB : On veut porter le message que c’est faisable. Il va certes falloir passer à d’autres moyens de transport, à d’autres moyens de chauffage, etc., mais il faut porter un message positif pour ne pas tomber dans le fatalisme.
Comment pensez-vous procéder pour mobiliser les citoyens sur ce sujet ?
JMS : On avait initialement espéré s’appuyer sur des associations qui sont proches des enjeux écologiques, pour qu’ils nous servent de relais dans les communes. Mais on constate qu’on a du mal à les motiver sur le sujet… Les économies d’énergie, même si 80% des gens y sont favorables, ce n’est pas du tout mobilisateur. On rame à contre-courant !
On s’est donc rapproché des mairies, dans l’idée que ça ait un caractère un peu officiel, que nos événements soient diffusés dans les bulletins municipaux et portés par les élus…
JMB : Nous avons récemment rencontré plusieurs maires pour obtenir le soutien des municipalités sur ce sujet.
Nous avons besoin des mairies pour communiquer localement, via le bouche-à-oreille. Une fois qu’on a mis l’affiche en mairie, il faut que le personnel et les élus en parlent autour d’eux, car ils ont une audience naturelle qui est très efficace.
Essayez-vous également de toucher les collectivités, les entreprises ?
JMB : Oui, nous essayons d’être des relais locaux du Championnat CUBE et de motiver les entreprises et collectivités du territoire à s’inscrire. Mais je dois avouer que c’est très compliqué. Pour le moment je n’ai réussi qu’à obtenir l’inscription d’un bâtiment du Parc du Luberon. Pour les entreprises j’y travaille, j’ai proposé en vain à plusieurs d’entre elles de venir présenter le Championnat. Il faut labourer le terrain pour espérer convaincre l’année prochaine ! J’espère obtenir l’aide de la CCI Vaucluse sur ce sujet.
Quels conseils donneriez-vous à un autre collectif qui souhaite se lancer dans des actions d’économie d’énergie ?
JMB : Il est vrai que peu de Centrales Villageoises se sont lancées dans l’organisation d’un défi DECLICS. C’est pourtant un moyen très efficace pour contribuer à réduire les émissions de CO2, et c’est facilement calculable. On a un potentiel énorme qui n’est pas encore assez utilisé au sein de notre famille des Centrales Villageoises.
JMS : Il y a un chiffre marquant que l’on peut donner : lors du défi Familles à énergie positive en investissant 2 500 € on a économisé autant de kilowattheures que l’on en avait produit en une année avec nos centrales photovoltaïques qui nous avaient coûté 250 000€ ! Donc comparer les économies d’énergie à ce qu’on est capable de produire - à investissement identique - est très motivant.
JMB : Ce qui nous semble évident c’est que « les économies d’énergie, c’est aussi de l’énergie citoyenne ! ». Car elles concourent tout aussi bien à réduire la dépendance énergétique de nos territoires…
JMS : Et rappelons-nous que le scénario négaWatt insiste autant sur la sobriété énergétique, l’efficacité énergétique et la production d’énergie renouvelable, qui sont les trois volets de la transition énergétique.
JMB : Enfin, une fois que les gens sont « rentrés dans le jeu » de la sobriété énergétique, c’est un premier pas et ils ont envie d’aller plus loin : ils vont commencer à influer de proche en proche, dans leurs entreprises… cela fait effet boule de neige !
Propos recueillis par Etienne Jouin