Dans le cadre du projet européen ALPGRIDS (projet européen qui traite d'autoconsommation collective, de communautés énergétiques, de microréseaux... en savoir plus), il était prévu de mettre en place des échanges bilatéraux entre les partenaires de ALPGRIDS et des structures volontaires qui seraient intéressées pour bénéficier des résultats du projet.
C’est dans ce cadre que l’association des Centrales Villageoises a eu l’opportunité de bénéficier d’un échange avec le bureau d’études Allemand BAUM, partenaire du projet.
Après des premiers échanges en visio début 2022, la rencontre a été organisée par Michal Stöhr du bureau d’étude BAUM les 5 et 6 avril 2022, en Bavière (région de l’Allgäu et autour de Munich). Deux membres de l’association des Centrales Villageoises y ont participé : Jean-Eric de Rango (secrétaire de l’association) et Etienne Jouin (coordinateur du réseau).
Mardi matin : EWH et projet DECIDE
Notre programme de visite commence dans la région montagneuse de l’Allgaü, région au sud-ouest de la Bavière et à l’extrémité sud du pays. Nous avons rendez-vous dans la commune de Hindelang pour y rencontrer le directeur de la coopérative EWH (Elektrizitätswerk Hindelang), Andreas Klär. Trois représentants de BAUM nous accompagnent.
Andreas nous raconte l’histoire de cette coopérative bientôt centenaire, fondée en 1923, s’appuyant sur le développement d’une centrale hydroélectrique d’une puissance de 1 MW. EWH joue un rôle d’opérateur local pour la distribution et la fourniture d’électricité : la coopérative est propriétaire et responsable du réseau électrique sur la commune d’Hindelang, et fournit en électricité 97% des 4000 habitants de la commune.
La coopérative est composée de 319 sociétaires, tous clients du service de fourniture d’électricité et par conséquent tous basés sur la commune d’Hindelang. Elle emploie 16 personnes.
En complément de sa centrale hydraulique historique, EWH possède une autre centrale hydroélectrique en propre, et est co-propriétaire de deux autres centrales. EWH possède par ailleurs des installations photovoltaïques. Ces capacités de production ne permettent cependant de produire qu’un tiers de l’électricité vendue par la coopérative.
Du fait des réglementations et contraintes allemandes sur la production et la vente d’électricité, EWH est tenu de vendre l’ensemble de l’électricité sur le réseau avant de la racheter sur le marché pour fournir ses clients. La coopérative souhaiterait cependant faire évoluer ce mécanisme en vendant directement l’électricité produite localement à ses clients en tant que communauté d’énergie : c’est l’objet du projet européen DECIDE auquel prend part EWH depuis 2020 et jusqu’en 2023.
Après cette première visite vient la pause déjeuner avec nos amis de BAUM. Nous découvrons une spécialité locale, l’Allgäuer Kässpatzen, plat à base de pâtes, d’oignons grillés et de (beaucoup) de fromage. Nécessairement accompagné d’une bière, tradition locale oblige ! Redoutant la somnolence de l’après-midi, nous prenons le risque de frôler l’incident diplomatique en demandant « seulement » un « quart de bière » (25 cL) !
Mardi après-midi : Commune de Wildpoldsried et projet Pebbles
Nous arrivons ensuite à Wildpoldsried, accueillis par Mme Renate Deniffel, maire de la commune, ainsi que Sebastian Gebhardt de AÜW et Andreas Armstorfer, Hochschule Kempten (université de la ville voisine).
La maire nous présente l’histoire des énergies renouvelables dans sa ville. Porté par une politique très volontariste de la part de l’équipe municipale depuis les années 1990, le développement des énergies renouvelable a été florissant sur la commune, qui est aujourd’hui considérée comme une référence en la matière. En témoigne une carte du monde recouverte de punaises, chacune représentant un visiteur venu découvrir les initiatives de cette commune visionnaire.
Les chiffres ne trompent pas : la commune produit 8 fois plus d’électricité qu’elle n’en consomme, grâce à 9 éoliennes, plusieurs centaines d’installations photovoltaïques et une unité de méthanisation.
En complément des énergies renouvelables électriques, la commune a également travaillé sur ses besoins en chaleur. Une canalisation de 4 km a été construite entre l’unité de méthanisation du village et le centre-bourg. Le biogaz est consommé sur place via une unité de cogénération, produisant de l’électricité et alimentant un réseau de chaleur connecté à 80 maisons et 12 bâtiments communaux.
Si la commune a montré l’exemple en équipant tous les bâtiments publics de photovoltaïque et en investissant dans deux éoliennes, la population a très largement adhéré à la démarche en développant massivement le photovoltaïque sur toiture et en investissant dans les éoliennes.
Les chiffres sont parlants :
- côté photovoltaïque, on dénombre sur la commune 304 installations sur toiture pour 5,5 MWc de puissance. A titre de comparaison, le réseau des Centrales Villageoises représente à l’échelle nationale environ 400 installations pour 7 MWc de puissance !
- côté éolien, environ 900 habitants de la commune, qui en compte 2600, ont investi dans les projets éoliens plusieurs millions d’euros.
Cette implication citoyenne dans le financement des projets est reconnue comme un fort marqueur d’acceptabilité. « Ici quand les éolienne stournent les gens sont contents car ils gagnent de l’argent », nous explique-t-on. On nous précise également que les habitants les plus proches des éoliennes ont le droit d’investir plus d’argent au capital. Pour la commune, les retombées économiques permettent de financer la vie culturelle du village.
La commune fait cependant figure d’exception dans les environs, tant les éoliennes se font rares en Bavière du fait d’une règle très restrictive sur la distance aux habitations qui doit respecter une distance de 10 fois leur hauteur (soit environ 2km pour les éoliennes actuelles). Les communes ont néanmoins le pouvoir d’acter une exception à la règle, et c’est ce qui a été fait pour le dernier projet éolien à Wildpoldsried.
Du fait de son expérience et ses unités de production en service, Wildpoldsried devient un territoire d’expérimentation intéressant. Nous avons ainsi pu profiter d’une présentation du projet Pebbles, mené par divers partenaires dont AÜW et l’université de Kempten, et dont l’objectif est de créer un marché local de l’énergie visant à gérer localement l’équilibre du réseau électrique. L’expérimentation a été menée entre 2018 et 2021 faisant intervenir des consommateurs et producteurs locaux. Andreas Armstorfer nous a ensuite fait visiter le « campus énergie ».
Ce campus est basé sur un gros stockage d’énergie en batterie, d’un centre d’interconnexion du réseau local avec le jeu de batterie et de puissants onduleurs permettant de restituer depuis les batteries un courant alternatif similaire au réseau. Avec cet outil, ils peuvent réaliser en temps réel des expériences sur le réseau local de Wildpoldried comme simuler la variation de puissance des éoliennes, une déconnexion brutale du réseau allemand, un redémarrage des installations de production locales depuis un « black out » complet (panne complète du réseau sans alimentation extérieure).
Enfin une boucle de câbles enterrée autour du campus de plusieurs kilomètres leur permet d’étudier la tenue d’un réseau à de fortes sollicitations et simuler par exemple l’échauffement des câbles si on ajoute trop de producteurs à un seul endroit, ou l’effet de tel ou tel type de régulation de la tension réseau.
Ce partenariat a été rendu possible grâce à l’acceptabilité des habitants et des élus sur le risque de se retrouver dans le noir complet pendant quelques temps si une des expériences ne se passait pas bien.
Mercredi matin : Commune de Moosach
Après un voyage vers Munich le mardi soir, nous avons rendez-vous en ce mercredi matin à Moosach, petit village au sud-est de Munich. Sur la route, nous faisons un rapide arrêt à la station de géothermie profonde du quartier de notre hôte Michael.
Arrivés à Moosach, le maire de la commune nous accueille et nous présente un projet sur lequel sa commune a travaillé durant 10 ans, et qui a vu le jour en 2018 : un réseau de chaleur alimenté par une centrale solaire thermique et une chaufferie bois.
Un temps, l’ambition était de monter une coopérative pour mettre en place le projet, mais le projet fut finalement mené par l’entreprise Naturstrom. La commune a néanmoins été très impliquée puisqu’elle a financé le réseau de chaleur (1,3 M€ d’investissement) et acheté le terrain sur lequel sont aujourd’hui installées la chaufferie bois et le parc solaire.
Le réseau de chaleur alimente environ 75 foyers, pour une production de chaleur (et eau chaude sanitaire) de 1,85 GWh par an. Le nombre de foyers raccordés pourrait encore augmenter, d’autant plus si les ménages parviennent à réduire leurs consommations d’énergie.
La production de chaleur est prioritairement assurée par le parc de panneaux solaires thermiques, d’une puissance de 700 kW. La chaleur est stockée dans un ballon tampon, dont la température de consigne est de 70°C. Si elle passe en-dessous, la chaufferie bois se met en marche et ajuste la température du ballon à la consigne. La chaufferie, qui consomme du bois sous forme de plaquettes forestières, est composée de 3 chaudières : une de 390 kW et deux de 530 kW.
Ce mécanisme permet de profiter pleinement de la chaleur produite par le parc solaire thermique (de mai à octobre, la chaufferie bois ne fonctionne pas) tout en assurant le service de fourniture de chaleur toute l’année. Le maire de Moosag nous indique que c’est également l’optimum pour obtenir le meilleur prix du killowatteur (aujourd’hui vendu à 5,5 c€ aux clients). A l’échelle de l’année, la chaufferie bois reste majoritaire puisqu’elle fournit 75% des besoins en chaleur.
Une attention particulière est portée sur la provenance du bois, qui provient d’un rayon maximal de 40 km autour de Moosach. L’exploitation de la centrale est assurée par un sous-traitant local.
A l’issue de l’explication, le maire de Moosag nous propose, en français, de nous « montrer la motivation » du projet. Il nous présente alors un des murs de la chaufferie, illustré de bandes colorées représentant le réchauffement du climat bavarois depuis 30 ans. Une image forte pour justifier 10 ans d’efforts ayant permis à la commune de réduire sa dépendance aux énergies fossiles via des énergies renouvelables et locales.
Mercredi après-midi : Rothmoser
Pour la dernière visite du séjour, nous prenons la direction de Grafing, ville de 12 000 habitants à proximité de Moosag.
Notre guide est le directeur de l’entreprise Rothmoser, entreprise familiale gestionnaire du réseau électrique et fournisseur d’électricité et de chaleur à Grafing. Dans le même esprit que EWH la veille, Rothmoser présente une histoire expliquant sa légitimité à exploiter le réseau local : les ancêtres de notre interlocuteur avaient installé une turbine hydroélectrique dès 1899 et avaient ainsi commencé à électrifier une partie du village à l’aube du XXe siècle.
Aujourd’hui, Rothmoser est un acteur local solidement ancré, qui s’intéresse aux nouveaux enjeux en ayant priss part au projet ALPGRIDS avec BAUM, où ils ont fait office de site pilote avec un projet d’autoconsommation photovoltaïque au sein d’un bâtiment regroupant plusieurs consommateurs. Michael Stohr nous explique que la réglementation allemande n’autorisant pas d’utiliser le réseau public dans le cadre de projet d’autoconsommation, travailler à l’échelle d’un bâtiment était la seule option pour faire de l’autoconsommation collective.
Nous parcourons les points forts de l’énergie à Grafing, en nous rendant tout d’abord dans la centrale thermique qui alimente le réseau de chaleur. La source d’énergie est le gaz, provenant de sources diverses : une partie est produite localement par une unité de méthanisation (environ 30%), le reste est acheté sur le marché. La centrale produite également de l’électricité par cogénération, venant compléter les productions photovoltaïques réalisées localement (2MW de centrales sur toiture implantées à Grafing).
Après avoir observé le process d’utilisation du biogaz, nous partons à la source en visitant l’unité de méthanisation, construite une dizaine d’année plus tôt à l’initiative de Rothmoser et d’un agriculteur local.
Le méthaniseur est situé à 4 km du village, une conduite enterrée faisant le lien. Ici, les cultures dédiées sont autorisées et le méthaniseur est principalement alimenté par du maïs cultivé par divers agriculteurs locaux. Le productible est récolté à l’automne et stocké toute l’année sur site, étant consommé à hauteur d’une trentaine de tonnes par jour en moyenne. 3 compartiments différents se succèdent, suivant le niveau de maturation du productible. Le gaz qui en est issu est ensuite comprimé et directement envoyé vers la centrale thermique. Un des compartiments présente une forme « en chapiteau », permettant de faire varier le volume pour stocker plus ou moins de gaz en fonction de la demande.
Le digestat produite par le méthaniseur est quant à lui utilisé par les agriculteurs locaux en tant que fertilisant.
Après cette dernière visite énergétique, nous reprenons la route de Munich pour une nouvelle visite, culturelle cette fois, avant de clore ce chapitre allemand !
Ce que nous retenons
Ces deux jours de visites nous ont permis de découvrir à la fois une grande diversité de projets, avec différentes sources d’énergie renouvelables et une grande variété d’acteurs à l’initiative. Cette multiplicité de sources et d’intervenants montre l’importance de continuer au sein du réseau à étudier toutes les formes de partenariat et les nouvelles filières.
L’exemple de Wildpoldsried est particulièrement marquant, car il est la preuve que l’implication des citoyens est un levier majeur pour l’acceptabilité des énergies renouvelables, et en particulier de l’éolien. Il est aussi la preuve que les énergies renouvelables peuvent être un formidable levier de développement des territoires ruraux. Enfin cet exemple nous parle vis-à-vis du solaire photovoltaïque, du fait de la proximité des chiffres du nombre d’installations et de puissance installée avec ce que les Centrales Villageoises ont réalisé… à l’échelle d’un réseau couvrant 1700 communes !
Malgré une forte culture coopérative et de beaux exemples de l’implication des citoyens dans le développement des énergies renouvelables en Allemagne, il faut néanmoins nuancer le propos : le cadre juridique concernant la production d’énergie et l’utilisation des réseaux est aujourd’hui sclérosé en Allemagne, ce qui limite drastiquement les dynamiques citoyennes. Ainsi, il ne serait pas possible de développer les Centrales Villageoises telles que nous les connaissons en Allemagne !
Un point qui illustre bien ce blocage actuel est la lenteur des travaux de retranscription des directives européennes sur les communautés d’énergie dans le droit allemand.